Cristián Vogel : Third Space Requiems (inédit)

CRISTIÁN VOGEL

THIRD SPACE REQUIEMS. REQUIEM EN 3 VOLETS
Levitationism (0->6’30)
Story In Blood (6’30->14′)
The Siege of Mariupol (14->19’47)

“Third Space Requiems” est une trilogie électroacoustique de Cristián Vogel, composée dans les dernières heures de 2023 à la lumière d’événements qui ont profondément marqué son histoire récente sur un plan intime ou plus universel.
Dans son ensemble, elle amplifie la gravité de la mort inutile, à la fois pour la psyché individuelle et collective. Le fil conducteur est une exploration commune de ce qu’on peut nommer la condition humaine et son expression à travers l’art, la technologie et le conflit. La trilogie est un puissant appel à la résilience, à la compassion, à la guérison et à l’endurance de l’âme, telle qu’elle peut s’exprimer le plus efficacement – par la création, et non par la destruction.

Third Space Requiems is an electroacoustic trilogy. As a whole, it amplifies the gravity of unnecessary death, for both the individual and collective psyche. It is threaded by a common exploration of the so-called human condition and its expression through art, technology and conflict. The trilogy serves as a powerful ode to resilience, compassion, healing and the endurance of the soul, as it can be most effectively expressed – through creation, not destruction.

1 . Levitationism (0′)

La première pièce des “Third Space Requiems”, intitulée Levitationism, tire son inspiration initiale du tableau “Levitation” d’Egon Schiele de 1915, “Levitation”, qui représente deux soldats, apparemment suspendus dans les airs au-dessus des tranchées, contorsionnés et échevelés, mais défiant la gravité avec une grâce d’un autre monde. La pochette du dernier album du groupe de gangsta-rap N.W.A. – “Efil4zaggin”, sorti en 1991 – semble dépeindre une scène similaire ; les membres du groupe flottant loin de leur propre mort violente. Si l’univers sonore de “Levitationism” ne fait pas référence à la musique rap ou à l’école vénitienne, la pièce vise à sonder la forme spectrale d’une transformation mystique – celle de la mort suivie de l’ascension – que l’on voit à la fois dans le tableau et sur la pochette de l’album. Cette chorégraphie naïve semble se répéter à travers les années et les médias en Occident. Autre exemple de l’unité moderne/ancienne de la lévitation et de la mort. Le film de Gaspar Noe – “Enter The Void” – suit la fuite d’une âme perdue à travers le bardo avec de multiples plans de caméra en lévitation et des scènes coupées qui induisent un vertige temporel.

Egon_Schiele_-_Levitation_The_Blind_II_1915
Egon Schiele, Levitation The Blind II, 1915

Dans la courte œuvre électroacoustique de Cristian Vogel, nous pouvons identifier des traitements numériques de pointe tels que le réseau neuronal mapping entrelacé avec d’anciennes spirales pythagoriciennes traitées en glissandi multi couches. Tout cela donne à l’auditeur un aperçu de la télémorphose – le lévitationnisme moderne – une accélération rapide et incontrôlable, continuellement en mouvement et laissant derrière nous tout ce que nous avons connu. Comme il s’agit d’une œuvre d’art évoluant dans le temps, et non d’une image fixe, elle pose également ces questions sans réponse : À quelle vitesse – réellement – et à quel point
l’âme quitte-t-elle le corps de manière terrifiante ? S’agit-il d’une lente et gracieuse ascension depuis la tranchée ou le trottoir ? Ou bien est-ce à grande vitesse et toujours en accélération ?

Enter the void gaspard Noe
Enter the VOID, Gaspard Noé

The opening piece of the Third Space Requiems, titled Levitationism, draws its initial inspiration from Egon Schiele’s 1915 painting, “Levitation” which depicts two soldiers, seemingly suspended in mid-air above the trenches, contorted and dishevelled yet defying gravity with an otherworldly grace. The cover art for the final album by the gangsta-rap group N.W.A – ‘Efil4zaggin’ released in 1991 – seems to portray a similar scene; the remaining members of the group floating away from their own violent deaths. While the sound world in ‘Levitationism’ does not reference rap music or the Venetian school, the piece aims to sound out the spectral shape of the mystical transformation – that of dying followed by ascendence – seen in both the painting and the album cover. This naive choreography seems to repeat across years and media in the West. Another example of the modern/ancient unity of levitation and death. Gaspar Noe’s DMT movie – ‘Enter The Void’ – follows the flight of a lost soul through bardo with multiple levitating camera shots and cut scenes that induce temporal vertigo.
In this short electroacoustic work, we hear state-of-the-art digital processing such as neural network mapping…. woven together with layered glissandi significations of ancient Pythagorean spirals. This is all intended to give the listener a glimpse of telemorphosis – the modern levitationism – our rapid and uncontrollable acceleration, continually racing upwards leaving behind all we ever knew. As it is a piece of time evolving art, not a still image – it also poses these unanswered questions: How fast – actually – and how terrifyingly does the soul leave the body? Is it a slow, graceful rise from the trench or the sidewalk? Or is it
high speed and still accelerating?

2. Story In Blood (6’30)

Dans “Story In Blood”, le récit est centré sur le parcours profondément personnel et émouvant d’une personne qui survit à une maladie mortelle et qui endure le processus difficile de la chimiothérapie. Cette pièce audacieuse exprime les complexités viscérales inhérentes à ces expériences.
Les détails, la dynamique et la structure générale de la musique trouvent leur origine dans des données hématologiques, méticuleusement collectées à partir de plus de 600 analyses sanguines effectuées par un ami proche au cours de sa courageuse bataille de deux ans contre une leucémie agressive. Sune, mon ami, est un artiste visuel.
Pendant son séjour à l’hôpital, il me disait qu’il avait l’intention de visualiser et sonoriser ses propres données médicales. Lorsqu’il est sorti de l’hôpital et qu’il s’est suffisamment rétabli, nous avons travaillé ensemble pour traduire ses données en une œuvre d’art convaincante intitulée “Story in Blood”, qui exprime le récit de sa guérison par le biais d’une histoire de données sensorielles à la fois concrètes et abstraites.
Dans la version multimédia complète, la musique est étroitement liée à l’animation de Sune, les deux étant dérivées de la même trame de données, mettant en correspondance l’animation musicale et visuelle avec les changements hématologiques survenus au cours de la période couverte par les données. Cette symbiose crée une dynamique puissante, capturant la lutte holistique contre l’entropie dont l’organisme vivant est capable. Au-delà de la composition musicale, le message sous-jacent souligne l’importance vitale pour le patient de s’engager activement dans la création et la poursuite de son propre projet de guérison.
“Story In Blood” est un rappel de la résilience, de l’interconnexion de l’art et de la guérison, et du rôle stimulant de l’imagination créative d’un patient dans son parcours vers la guérison.

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Imagerie médicale

In Story In Blood, the narrative centers on the deeply personal and emotive journey of surviving lifethreatening illness and enduring the challenging process of chemotherapy. This bold piece articulates the visceral complexities inherent in such experiences. The music’s details, dynamics, and overall structure find their origin in haematological data, meticulously collected from over 600 blood tests undergone by a close friend during his courageous two-year battle against dangerous leukemia. Sune, my friend, is a visual artist. During his time in hospital he would mention to me that he was planning to visualise and sonify his own medical data.
When he eventually came out of hospital and recovered enough, we worked together to translate his data into a compelling data artwork titled ‘Story in Blood,’ expressing his recovery narrative through both a concrete and abstract sensorial data story.
In the full multimedia version, the music is intricately connected with Sune’s animation, both having been derived from the same data frame, mapping musical and visual animation to haematological changes over the time period covered by the data. This symbiosis creates a powerful dynamic, capturing the holistic struggle against entropy that the living organism is capable of. Beyond the musical composition, the underlying message emphasises the vital importance for the patient to actively engage in the creation and pursuit of their own recovery project. Story In Blood serves as a poignant reminder of resilience, the interconnectedness of art and healing, and the empowering role of a patient’s creative imagination in their journey towards recovery.

3 . The Siege of Mariupol (14′)

La trilogie culmine avec “The Siege of Mariupol”, une composition qui affronte sans détour les réalités brutales du conflit russo/ukrainien. Grâce à un mélange évocateur – les sons imaginés de la guerre moderne, les manipulations électroniques et un motif mélodique obsédant de fragments et d’âmes enfouies – la musique devient un témoignage de la mémoire, de la bravoure et de la profonde souffrance des individus pris dans l’implacable terreur du conflit.
Il a été largement rapporté que plus de 20 000 civils sont morts pendant le siège russe de Mariupol. Ce morceau de musique s’inspire en partie de la frappe aérienne civile la plus meurtrière, l’attaque russe aveugle contre le théâtre dramatique régional de l’Académie de Donetsk à Marioupol le 16 mars 2022. Le récit sonore est composé de tapisseries granuleuses qui évoquent la terreur auditive de la technologie des armes modernes, une percussion de la douleur, de la mort et de la destruction.
“The Siege of Mariupol” est une imploration lancée publiquement pour témoigner de la fragmentation à laquelle sont confrontés ceux qui se trouvent sur la ligne de front. Il invite les auditeurs à s’engager non seulement dans le paysage sonore brisé, mais aussi dans les vérités plus profondes qui imprègnent notre monde à la fois partagé et isolé. Par exemple, la courte durée d’attention que nous avons accordée aux récits en ligne de brutalité et de violence lors de la destruction de Mariupol par les Russes se reflète dans la brièveté de la pièce – avec moins de 6 minutes, elle n’aurait même pas eu le temps de trouver sa place dans la salle de concert.
Dans la lignée des œuvres précédentes, cette composition souligne l’interconnexion de nos expériences humaines, suscitant une réflexion sur l’impact profond des événements géopolitiques, des technologies qui sauvent des vies et de celles qui les détruisent, le tout sur fond de survie face à la mortalité, la condition humaine.

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Le théatre de Marioupol en flammes après le bombardement du 16/03/22

The trilogy crescendos with “The Siege of Mariupol”, an emotionally charged composition that unflinchingly confronts the brutal realities of conflict. Through an evocative blend – the imagined sonics of modern warfare, electronic manipulations, and a haunting melodic motif of fragments and buried souls – the music becomes a testament to the memory, bravery and profound suffering of individuals caught in the relentlessness of terror and conflict.
It has been widely reported that over 20,000 civilians died during the Russian siege of Mariupol. This piece of music draws some of its inspiration from the single deadliest civilian airstrike, the indiscriminate Russian attack on the Donetsk Academic Regional Drama Theatre in Mariupol on March 16th 2022. The sonic narrative is made up of granular tapestries hinting at the auditory terror of modern weapon technology, a percussion of pain, death and destruction.
The Siege of Mariupol serves as a potent reminder, imploring the audience to bear witness to the fragmentation faced by those on the frontline. It invites listeners to engage not only with the broken soundscape but also with the deeper truths that permeate our shared yet isolated world. For example, the short attention span we gave to the online stories of brutality and violence during the Russian destruction of Mariupol, is reflected in the brevity of the piece – being under 6 minutes long, it would not even have been enough time to find your seat in the concert theatre.
In alignment with the preceding works, this composition highlights the interconnectedness of our human experiences, prompting reflection on the profound impact of geopolitical events, life-saving and lifedestroying technology – all against the backdrop of survival in the face of mortality, the human condition.

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ÉLÉMENTS

Cristian Vogel (1972) est un compositeur chilien et producteur de musique mondialement connu. Très présent dans la sphère de l’électro dans les années 90, il s’attache aujourd’hui davantage à des compositions electro acoustiques et expérimentales. A écouter : ses remix pour Radiohead, Maxïmo Park, Chicks on Speed, Fujiya & Miyagi ou Thom Yorke ou la B.O de Black Swan publiée en 2009 sur l’excellent label Sub Rosa.
Ces dernières années, il a lancé un certain nombre d’autres labels : Rise Robots Rise (aujourd’hui disparu), Sleep Debt, et Station 55 (également le nom de son studio).  Bien que ces labels soient principalement un moyen de publier ses propres œuvres, ils ont également publié des disques pour d’autres artistes.
Cristian Vogel a également contribué au projet Fukushima open sounds (diffusé sur France Musique).
Depuis 2021, il est basé à Copenhague.

www.neverenginelabs.com
cristianvogel.bandcamp.com

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Caroline Bergvall podcastS’abonner au podcast

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